La grotte de Cougnac - Chapitre 5 : Les empreintes

Brek avançait dans la forêt profonde, en tête des autres chasseurs qui le suivaient à la queue-leu-leu. Des bruits étranges, oiseaux ou mammifères résonnaient à travers les frondaisons, aussi levait-il souvent le nez pour essayer de détecter ces animaux à l’odorat.

Cette fois les dernières feuilles tombaient au sol par rafale, l’hiver serait bientôt là, et avec lui les premières neiges, et qui sait, les grands froids. Pour la neige il ne détestait pas, bien qu’avec le soleil ils étaient parfois aveuglés par le soleil blanc, suivre des pistes d’empreintes devenaient un véritable jeu, où même le chasseur le plus inexpérimenté ne rentrait jamais bredouille, c’était une question de patience… Mais certains prédateurs devenaient un peu plus dangereux, et osaient s’approcher plus près des campements humains, comme le loup, si redoutables en meute, ou quelque lynx à l’affut parfaitement silencieux… Heureusement, la grotte, même de taille réduite, était facile à protéger, grâce au feu protecteur qui éloignait toutes les bêtes, y compris les plus féroces. Au bout d’un long moment, l’homme aperçut au sol, sur les berges humides d’un petit cours d’eau, une série d’empreintes qu’il reconnut aussitôt.  Une harde de cerfs s’était abreuvée dans les parages, en les suivant nul doute qu’ils avaient des chances de les retrouver. Un seul de ces animaux, même le plus jeune ou le plus faible suffirait au petit groupe pour se nourrir plusieurs jours, et tant mieux car la chasse jusque-là ne s’était guère montrée fructueuse ! Il fit signe à ces acolytes en leur montrant les traces, qu’ il ne fallait pas faire le moindre bruit et s’avancer en veillant à la fois mettre leur pieds hors des nombreuses brindilles disséminées partout, et en restant en vent contraire. Plus loin, un rocher dont l’arrête formait une saillie attira son regard, là une touffe de poils bruns accrochée contre la roche, comme si l’animal s’y était frotté intentionnellement. L’odeur ne laissait aucun doute, un ours était passé récemment par ce sentier…Et même à y regarder de plus près, il s’était hissé sur ces patte arrières, étiré contre la paroi verticale et laissé de longues estafilades à l’aide de ses griffes sur la partie supérieure du rocher. Il pensa que « Père-l’ours », leur protecteur depuis que le petit clan occupait son ancien abri, leur montrait le chemin, en effet les traces du gibier bifurquaient soudainement ; sinon ils auraient pu ne pas les voir, au cause de l’amas de feuillages entassé à proximité…. Le ruisseau serpentait à travers la végétation, et visiblement la harde du cerf, accompagné de ses nombreuses femelles, semblaient en remonter le cours. Quelques kilomètres plus loin, les traces se perdaient dans la mousse accumulée sur la berge, puis une surface empierrée de larges plaques calcaires lui succédait ensuite. Brek fut surpris d’y découvrir une série d’empreintes rouges comme gravées sur la roche ; non seulement celles du troupeau qu’ils étaient en train de poursuivre, mais aussi toute une variété de faune venue se désaltérer ces derniers jours…  

Avec le bout d’un bâton il s’amusa à prélever de la boue rouge près de l’eau et se mit à dessiner des silhouettes humaines, munies de leur sagaie, puis l’inspiration venue, représenta maladroitement ses compagnes, telles qu’elles apparaissaient encore enceintes… Les autres chasseurs le regardaient bouche bée sans rien dire, stupéfaits de cette curieuse initiative, mal à l’aise soudainement, superstitieux comme tant de leurs frères, ils eurent peur que leur âme reste capturée par l’image qu’il venait de créer. Ils s’éloignèrent, presque à reculons, et tentèrent de reprendre la poursuite, sans quitter Brek des yeux… Celui-ci abandonna son jeu avec regret, et reprit la traque avec ses compagnons…. Ils allaient bientôt retrouver le cerf, entouré de ses nombreuses biches, l’animal tenta de défendre son harem et finalement fut pourchassé et encerclé, tandis que le reste du troupeau détalait, enfin il fut atteint par l’une des sagaies, dont le propriétaire rugit de plaisir et de fierté. Les hommes fabriquèrent une sorte de civière rudimentaire afin de pouvoir transporter sa lourde carcasse jusqu’à l’abri. La recherche du gibier, sa poursuite, et l’abattage leur avait demandé beaucoup d’effort et d’endurance ; ils avaient hâte de rentrer au camp et de raconter aux femmes cette riche expérience. Sur le chemin du retour Brek ne put s’empêcher de rajouter au dessin initial, sur la plaque calcaire, une paire de bois en signe de victoire. Dommage se dit-il, la prochaine pluie détruira toutes ces traces rouges…. Mais cette nouveauté le laissa tout songeur, et souleva en lui bien des interrogations…

L’art venait de naître, surgi d’un être humain plus créatif que les autres.

(A suivre...)