La grotte de Cougnac Chapitre 9 - Les premières peintures

Brek songeait, tandis qu’il ne parvenait pas à dormir, à différents signes qu’il percevait du « monde d’après », et aux nouvelles connaissances qu’il venait d’acquérir grâce à Zeb et Loo. Désormais, il ne craignait plus la mort qui semblait aboutir vers une sorte de seconde vie, certes, très mystérieuse… Dommage que l’on ne puisse communiquer avec ses ancêtres plus souvent, quelle mine d’expérience pour eux tous ! Mais il entrevoyait la possibilité que, dans la grotte, domaine de la déesse-mère, on pourrait y créer un lien direct. Il repensa également à l’histoire des empreintes d’animaux, laissées dans la boue rouge au bord du ruisseau. Comme il avait regretté que les intempéries les aient effacées à tout jamais, parce qu’exposées en plein air. Il songea que reproduire celles-ci sur une paroi de la grotte pouvait les conserver plus longtemps, et par là transmettre une forme de demande, ou de prière à la déesse-mère.

Il se leva silencieusement, alluma une des lampes qu’il avait confectionnées à cet usage et s’introduisit dans le couloir sombre de la grotte profonde.

Il ne savait encore, comment il allait procéder, mais il voulait tout d’abord choisir une surface propice afin d'y étaler la boue rouge facilement. Il lui faudrait aussi en parler au chamane, afin d’apaiser les mauvais esprits ; s’il n’y avait pas exactement de tabou, d’interdit concernant ce qu’il voulait innover, il craignait leur désapprobation.

En parcourant de part en part l’espace de la grotte, il constata qu’une seule surface plane importante y figurait, tout au fond, comme insérée dans un grand utérus.

Il prépara deux mixtures différentes, l’une noire, à partir de charbon de bois issu de leur foyer, et de résidus minéraux plus épais, et l’autre rouge à partir de de la boue rouge trouvée près du petit ruisseau. Il effectua quelques essais préliminaires sur d’autres secteurs de la grotte, réajusta quelques dosages, y ajouta un peu d’eau pour faciliter son utilisation sur la pierre. Il réfléchit aussi longuement à la technique qu’il allait employer pour enduire la paroi, apposa ses mains enduites ça et là ; puis s’avisa qu’une petite branche lui permettrait un contour plus net. Au bout de quelques minutes la brindille cassa net, il la raccourcit et se mit en quête de prolonger celle-ci par une autre matière, plus souple. L’ours avait laissé plus d’une trace en ces lieux, dont quelques touffes de poils accrochées à certaines stalagmites, il les récolta et les lia ensemble avec le bâtonnet. Il venait probablement d’inventer le premier pinceau !

Brek ne savait pas vraiment par quel sujet il allait commencer sa création, quand il se rappela le grand cerf aux bois immenses qui l’avaient tant impressionné une nuit. Il se dit que l’animal devait autant appartenir à ce monde ci, qu’à celui d’au-delà… Face à lui, la forme de la paroi semblait évoquer le renflement du garrot de la bête, aussi opta-t-il  pour cet emplacement précis, si judicieusement évocateur. Comme c’était la première fois qu’il appliquait cette méthode, son trait ne fut pas vraiment bien continu, mais hors de toute comparaison possible, il jugea l’animal représenté assez fidèlement… Puis il en dessina deux de la même famille, parce que dans la faune sauvage les cervidés vivent rarement en solitaire… Puis il s’accroupit devant son œuvre et pria la déesse mère de leur apporter beaucoup de gibier pour passer l’hiver et la préservation de leur santé à tous, y compris leurs tout-petits encore bien fragiles…

Il se serait bien vu continuer la fresque commencée, mais l’inspiration ne venant pas, il n’en dessinerait pas davantage cette nuit-là, et puis la fatigue le rattrapa bientôt.

Au matin, il s’adressa en aparté au chamane et à son acolyte mais ne leur expliqua pas ce qu’il venait de concevoir, il leur dit seulement qu’il voulait leur montrer quelque chose. Les deux hommes ne comprenaient pas ce qu’il y avait de nouveau dans la grotte, toutefois, ils le suivirent, intrigués...

Face à la paroi ornée, Loo fut tellement emplit de stupéfaction, qu’il ne put s’empêcher de pousser un cri rauque, puis il recula aussitôt comme si l’animal allait jaillir de la roche. Quant à Zeb il resta bouche bée, et fit un pas en arrière lui aussi ; difficile à Brek de rester indifférent devant leur frayeur.

- Mais que font ces animaux-là, ont-ils surgis cette nuit pendant notre sommeil ?

s’interrogea Loo

- Non, c’est moi qui les ait tracés avec un bâton,  de la boue et du charbon de bois

- Mais pourquoi faire ? Quelle idée t’a traversé l’esprit ?

- Sachez que moi aussi il m’arrive de vivre des songes, et récemment ce sont des animaux qui hantent mes nuits, comme ce grand cerf aux bois incroyables ! Et puis lors d’une traque de gibier, j’ai trouvé le long d’une berge une étendue de boue couleur du sang ; diverses empreintes de bêtes s’étalaient tout autour. Tout cela m’a donné à réfléchir. Par ces contours les représentants, je m’adresse au monde des esprits pour solliciter leur bienveillance…

- C’est fabuleux ! S’écria Zeb, enthousiasmé, tandis que Loo exprimait par une grimace un peu plus d’inquiétude, mais ne réagit pas aussitôt.

Un long silence s’ensuivit tandis que Brek attendait patiemment les arguments du chamane. Certes, les esprits ne nous ont pas punis de ton audace, ce qui serait déjà fait, si tu les avais mis en colère. Promets-moi une chose, ne poursuis pas ce….cette communication avant plusieurs jours, avant d’être vraiment fixés sur leurs intentions.

- Soit, attendons jusqu’à la prochaine lune, répondit Brek. Et je sais ce que je vais reproduire ensuite !

- ???

O - Vous verrez !

Effectivement Brek n’ajouta aucun motif à sa fresque, mais il alla chaque jour devant son ébauche imaginer ce qu’il pourrait accomplir. Il guettait également le signe d’une possible réaction du monde invisible. Tout comme Loo, un peu inquiet quant à lui, et à Zeb plutôt enthousiasmé et prêt à braver l’inconnu. La nuit de la pleine lune suivante, Brek sut qu’il avait la permission de continuer son œuvre, et choisit justement le moment où la lune se levait pour repartir au fond de la grotte. Il prit quelques précautions afin de ne réveiller personne, pourtant Zeb qui savait le jour propice, le suivit avec curiosité, sans se montrer. L'homme s’arrêta un peu avant la partie la plus profonde de la caverne, à la surprise de Zeb. Il ne savait pas que lors de la prise de possession de la grotte, les quatre chasseurs avaient dû terrasser le grand Ours, Père des hommes selon leur mythologie, et qu’à cet endroit gisaient plusieurs crânes, désormais déplacés à l’entrée, comme pour marquer leur territoire.

Brek entreprit de mélanger ses mixtures à de l’eau et à de la graisse fraiche, et presque sans hésiter, (il avait bien murit son sujet) il s’attaqua à la paroi, tandis que le pauvre acolyte ne pouvait distinguer le travail réalisé. Si bien que Zeb fit demi-tour afin de ne pas être découvert par le chef du petit clan, relativement déçu ...

Il lui fut bien difficible de retrouver le sommeil, mais finit par s’assoupir aux premières lueurs de l’aube. Le matin fut clair et lumineux, bien frais et signe d’une journée productive, ils iraient chasser et refaire quelques provisions de viande fraîche. Poutant tous souhaitaient voir ce que leur chef avaient fait, y compris les femmes qui n’avaient pas eu encore la permission de s’y rendre. Brek s’amusa de leurs craintes, l’obscurité, l’humidité et du sentiment d’oppression  qui les bouleversaient ; toutefois la curiosité fut la plus forte, personne n’avait rien dévoilé auparavant.

Comme toujours, Monaï, la plus courageuse, suivit Brek et poussa bientôt un cri de surprise.

Les autres approchèrent à leur tour et découvrirent avec admiration une fresque représentant la tête d’un Ours vue de profil, puis des traces de doigt larges, figurant les pattes de l’animal, et surtout trois silhouettes fantomatiques, vraisemblablement humaines. Un long silence s’ensuivit, bientôt interrompu par un chant syncopé émis par Loo, quasiment en extase, puis Zeb attrapa une concrétion et s’en servi comme d’un outil contre la colonne la plus proche et la frappa en un rythme tantôt régulier, tantôt irrégulier. Seuls les chasseurs restaient les bras ballants, tandis que les femmes chantaient une douce mélodie d’accompagnement. La petite cérémonie impromptue dura un bon moment, jusqu’à ce que l’un des bébés se réveille et réclame sa tétée, ou clame son indignation !

Dis  - Brek qui sont ces mystérieux personnages ? demanda Tudor

-  Tu vois bien qu’il s’agit de Brek, de Loo et de Zeb, voyons ! lui répondit Kar

 ? - ??

- Bien observé ! N’est-ce pas que c’est évident, intervint Zeb, très fier de figurer sur la paroi !

Mais ils durent renoncer à la conversation parce que les bébés célébraient en chœur l’inauguration de la première œuvre d’art…et que par la résonance inouïe de la grotte on ne pouvait plus s’entendre.

 (A suivre...)